MOTO REVUE N°2714 du jeudi premier août 1985

MOTO REVUE bat le T.G.V . sur Paris-Marseille :

4h00'25", 195 km/h de moyenne

 

Paris, gare de Lyon, 3 heures du matin. Marseille, gare St-Charles, 7h00'25", 4 h 25" plus tard, la 900 Ninja pilotée par Vexator entre en gare. Après une bourre démente de 780 km menée au rythme d'enfer de 195 km/h de moyenne. Avec un relais à 232 de moyenne... Le but était de battre, une nouvelle fois, le T.G.V. qui met 4 h 40 pour couvrir la même distance. Il a fallu près de vingt personnes, des sueurs froides et beaucoup de foi pour en arriver à bout. Nous avions établi un tableau de marche basé sur 4 h 30' : au premier relais, la moto avait 7' d'avance, 15 au second, 25 quatrième ! Et presque 40 sur le T.G.V. à l'arrivée. Entrez dans la danse !

Voilà, on l'a refait. Malgré les pressions, malgré nos doutes nés de ces dernières. Pressions qui sont d'ailleurs venues plus du milieu que de l'extérieur. Importateurs, concurrence : autant de gens qui voulaient nous voir renoncer à notre projet. " Vous allez donner une image dangereuse de la moto. " " C'est de la provocation, après on ne pourra plus rien faire ", etc... Tout cela est peut-être vrai. De toute façon, les pouvoirs publics ont tous les droits, T.G.V. ou pas T.G.V. Si, au niveau du pouvoir, on a décidé en France de supprimer la moto, rien ne les arrêtera. Même pas la " concertation ".

Nous, nous pensons différemment. En moto, ce n'est pas tant la vitesse qui tue que la cohabitation entre différents types de véhicules. Trois quarts des tués à deux-roues, en France, le sont des collisions deux-roues/quatre-roues aux intersections en zone urbaine. Alors ?

Nous pensons aussi que la moto est plaisir, objet de plaisir et doit le rester. Le jour où nous ferons une moto triste, utilitaire, elle ne plaira plus aux motards et le marché n'existera plus, tué par l'autocensure, même pas par les pouvoirs publics. Nous avons donc décidé que la vitesse, c'était dépassé. Dans une " France qui gagne ", nous voulons une moto qui gagne, la tête haute, pas une moto de perdants, de battus. Roulez cool ? Non, roulez fou... avec nous, pas en vrai bien sûr. En faisant cela, nous voulons exorciser vos fantasmes. Nous, on ose pour vous et on vous l'offre. La moto, c'est le pied et ça doit le rester. Ceux qui ne sont pas d'accord avec nous ont le droit de le dire. Les lecteurs qui le sont ont aussi le droit de nous écrire, on gardera les lettres précieusement.

Nous ne nous posons pas en exemple mais en symbole. Nous ne voulons pas que les motards nous imitent, roulent à fond et se déchaînent : nous voulons qu'ils le fassent à travers nous. En réalisant par la moto cet exploit, nous voulons que chacun se dise : la moto, c'est quand même quelque chose de fabuleux, même si moi je roule à 130, ce qui me suffit bien. Savoir qu'on peut le faire, sans le faire ; profiter de l'image, de l'aura, tout en restant un conducteur civilisé, soucieux de sa sécurité et conscient de la loi.

" Vous montrez le mauvais exemple ", nous a t-on dit aussi. Quel exemple ? C'est de nous être battus contre le T.G.V. dans des conditions irréalisables pour un individu isolé - trois pilotes, des équipes d'assistance en six points du parcours de Paris à Marseille - qui montre le mauvais exemple ? Demain, tous les motards de France vont débouler sur l'autoroute à 260 compteur ? Jamais de la vie une personne ne peut sérieusement croire à cela. Nous démontrons qu'une moto est puissante ? Sûr, c'est marqué sur sa fiche technique. Les services des Mines français en reconnaissent parfaitement les performances. De même que celles d'une Porsche 930, d'une Renault 25 ou CX GTI Turbo. Mais il existe une règle, applicable à tous sur notre territoire : la transgresser coûte aujourd'hui une fortune. Quel rapport avec la puissance ou la vitesse ? On peut en avoir, mais on ne doit pas l'utiliser. C'est ça, la réalité. Et la liberté. Pas le contraire.

 

 

En plus, réaliser une telle moyenne sur ce parcours démontre de façon éclatante autre chose : une moto est aujourd'hui un engin exceptionnellement sûr, homogène, fiable. Tenue de route, freinage, qualité des pneumatiques, des suspensions et de l'éclairage font d'une moto de 100 chevaux aujourd'hui un engin beaucoup plus sûr qu'une moto de 65 chevaux, il n'y a pas si longtemps.

Comme, de toute façon, la puissance est désormais limitée, seuls ces points peuvent évoluer, ce qui est plutôt positif. Cette évolution technique est, certes, le fait des constructeurs, mais également le fruit d'un dialogue entre pouvoirs publics, utilisateurs et marques afin de définir un produit aussi bon que possible et répondant aux critères passion-sécurité. Le résultat est éclatant, non ? Ne serait-ce que pour cela, la concertation a du bon. J'ajoute que, tenant compte de cela, cette expérience peut aussi jouer un rôle rassurant, puisque démontrant la qualité de l'engin à deux roues en général. Ceci a certes valeur d'exemple sur ceux qui disent que la moto est dangereuse, et doit rassurer ceux qui la pratiquent. Ce qui serait plutôt bon commercialement, non ?

Enfin, un autre point important mérite d'être soulevé. Pour réaliser 195 km/h de moyenne sur Paris-Marseille il faut : une moto exceptionnelle, des conditions exceptionnelles, des routes exceptionnelles. Et là, chapeau. Parce qu'une telle aventure n'est pratiquement possible qu'en France, à l'exception peut-être de certains tronçons italiens. Pourquoi ? Parce que l'autoroute française est très bien dessinée, bien signalée (bandes réfléchissantes, délinéateurs la nuit), bien surveillée (bornes d'appel fréquentes). De plus, le comportement des automobilistes français devient excellent. Ils se rangent, regardent dans leur rétro (en général). La campagne de publicité de la Sécurité routière a porté ses fruits. On ne peut pas en dire autant de tous les automobilistes de toutes les autoroutes, même pas en Allemagne. Mais nous n'allons pas disserter pendant des lustres. Il ne fallait pas le faire : Terminator, Gladiator et Vexator l'ont fait. Que ceux qui n'ont jamais roulé vite à moto nous jettent la première pierre et que nos détracteurs nous démontrent que nous faisons du tort à la moto.

 

Paris-Auxerre, le Gladiator rentre en scène

 

C'est donc à moi que revient l'insigne honneur de prendre le premier relais. Le contrat est simple : départ à trois heures tapantes et ensuite taquet jusqu'à la station-service d'Auxerre-Venoy. Soit 173 km que je dois avaler en une heure au plus pour respecter le tableau de marche. Le départ ayant lieu rue de Chalon, en face de l'entrée réservée aux T.G.V., gare de Lyon, c'est la sortie de Paris qui va poser le plus de problèmes. D'autant que le périph est fermé cette nuit...

La nuit, Paris. Pas question de se coucher avant le départ. Je me connais, si je commence à dormir il faudra faire sauter une bombe de 20 mégatonnes sur mon oreiller pour me réveiller. Mon programme de la soirée sera donc : café, restaurant, café, cinéma, café et café. Dès une heure et demie je vais repérer le parcours qui m'emmènera jusqu'à la bretelle de l'autoroute du Sud. Le départ est simple : au bout de la rue de Chalon, je prends à droite dans la rue de Rambouillet puis à gauche pour enfiler les quais jusqu'au boulevard Masséna. Pour l'instant, je roule gentiment, avec ma combinaison et mon jerrycan sur la selle, histoire de repérer les taches de gasoil et les képis en voiture. Ça tombe mal, il y a des premières sur les pavés de la rue de Rambouillet et des seconds plein le boulevard Masséna. " Blood and guts ", ça va être chaud 1 Je n'ai que quatre minutes, selon le plan de marche, pour atteindre l'entrée de l'autoroute. La seule ouverte cette nuit est celle de la Poterne des Peupliers, porte d'Italie. Mais, pour quitter le boulevard extérieur, il y a un feu où s'entassent camions et caravanes de touristes sur une voie. Eh oui, même à cette heure avancée de la nuit. Seul plan possible : prendre le souterrain et couper à gauche à la sortie. Ce n'est certes pas réglementaire, mais quand on s'attaque au temps du T.G.V. sur Paris-Marseille, cette manœuvre est une anecdote désopilante. Bon, ça baigne. Je retourne au point de départ pour refaire une dernière fois le parcours afin de bien me mettre dans l'œil l'emplacement des feux rouges et autres babioles du genre. Il y a encore des flics partout. J'espère qu'ils vont changer d'air sur le coup de trois heures...

3 h, gare de Lyon. Sous l'oeil endormi de quelques bidasses en perm et des " dealers " de la rue de Chalon, je place la 900 en face de la porte des T.G.V. Le chrono fixé sur le guidon gauche doit me permettre de vérifier mes temps de passage en fonction du tableau collé sur le compte-tours. J'ai quatre minutes pour arriver porte d'Italie, vingt-quatre minutes pour atteindre le péage de l'autoroute du Sud et une heure pour passer le relais au Terminator qui m'attend à la station juste après la sortie Auxerre-sud. Le photographe mitraille, le commissaire technique de la Fédé note, moi, je flippe un peu. Pas sommeil, moi. Houla, non alors ! Il est plutôt excité te Gladiator ! En plus, le système du jerrycan de secours cafouille un peu. Enfin, maintenant il est trop tard pour le changer ou me trouver un rendez-vous urgent chez le dentiste. T'es dedans mon gars, les autres t'attendent et si tu commences à prendre du retard au début, ça va leur mettre un coup au moral et ce sera dur à rattraper. Alors : gaz ! Mon regard glauque est rivé sur ma montre préalablement réglée sur l'heure de l'horloge parlante. Cinq, quatre, trois, deux, un, go... Un coup de pouce pour déclencher le chrono et j'ouvre en grand, Travers en ouvrant après la droite au bout de la rue de Chalon. Quel con, pourtant, j'avais vu que ça glissait ! Les rues sont désertes, ça roule. Jetons un voile pudique sur le franchissement des feux. Prudent quand même, mais franchement illégal. Boulevard Masséna, plus de flics, le souterrain, je coupe tout à la sortie, le rond-point, la Poterne. Coup d'oeil au chrono éclairé par les lampadaires : 4 h 19". C'est correct. Si le périph avait été ouvert, c'était à l'aise 2' de moins.

3 h 06, entrée de l'autoroute. Gaaaaaaz !... Collé derrière la bulle, j'enroule du câble, la conscience tranquille. Il fait beau et la circulation est fluide. Quelques égarés sur la voie de gauch s'écartent précipitamment en voyant arriver le H4 de 100 W dans leur rétroviseur. Je préfère éviter de slalomer car, à la vitesse ou le déboule, je n'aurais pas le temps d'anticiper. Jusqu'à Evry, on ne peut pas dire que la route soit en bon état. Parfois mon casque vient heurter le réservoir d'essence à la suite d'un raccord de goudron ou d'un trou. Malgré la très bonne tenue de cap de la 900 Ninja, les successions de bosses m'obligent à tirer sur le guidon violemment et provoquent des guidonnages. L'aiguille du compteur oscille entre 220 et 250 km/h en fonction des courbes et de l'état de la route. Fin de la portion éclairée. C'est pas grave, l'ampoule 100 W éclaire suffisamment. Après quelques minutes je distingue les feux du péage.

3 h 19, le péage. Freinage tardif, je prends le ticket en jetant un oeil au chrono : 19' et des bricoles. Impeccable, j'ai déjà cinq minutes d'avance. Le reste du parcours s'écoule sans soucis notoires. La route est meilleure et seuls quelques voitures ou camions qui doublent m'obligent à rendre la main sur les portions à deux voies. Maintenant l'aiguille est entre 240 et 250 km/h. Ça devient monotone, cette histoire. A 130 km du départ le moteur ratatouille. Damned, déjà la réserve ! J'attends un peu pour voir si le jerrycan envoie le précieux liquide aux carbus, mais ça ne vient pas. J'ouvre un peu plus le bouchon de mise à l'air libre et je passe sur la réserve du réservoir principal. Il me reste 43 borne à faire. A ce rythme je n'y arriverai pas. Je roule entre 200 et 220 pour essayer d'atteindre la station sans avoir à m'arrêter. Ouf, ça y est, je prends la bretelle de sortie alors que le moteur commence à cafouiller.

3 h 53, Auxerre-Venoy. Freinage d'enfer. Mes potes me font signe devant la pompe. Je descends de la moto, le Terminator grimpe dessus après avoir fait le plein et ouvre comme un malade en laissant une trace de gomme par terre. C’est fini pour moi. Un café, une petite clop et voilà l'travail ! (Pfiouuuu ... )

 

Auxerre-Chanas: la nuit sauvage de Terminator

 

D'abord un petit bruit dans le lointain... Camion, moto ? Plutôt moto. Elle semble très loin ; en effet, 45" plus tard nous entendons le premier d'une série de quatre grands coups de gaz avant la chicane d'entrée. Le Gladiator fait son apparition après une dernière accélération. Le pompiste dégaine et enfourne son appareil dans la trappe...

3 h 55. Je récupère la mob. J'en profite pour intercepter le regard du splitman qui m'a précédé. Une lueur d'inquiétude y circule : la réserve additionnelle de ce putain de deux-roues à combustion thermique ne donne pas son jus. Il va falloir adopter une vitesse de déplacement intermédiaire, l'ordre de 68 m/s si on s'en réfère au compteur original et fantaisiste de l'engin (il est encore gradué en valeurs par heure). J'ai le plein de carburant, trois cachetons de pack-speed dans le stomac et Bruce Springsteen dans les connections extérieures n°2 à fond...D'ailleurs, le switch principal est sur Auto Total Control. Tout va pour moi, je mets gaz direction Châlons où l'agent de translation doit me ravitailler. Pas de risques qu'il ne fasse pas le boulot : on a un dossier hyper chaud à son sujet. God speed you ! La bande noire qui chauffe les pneus du transporteur n'attend que moi. Le faisceau du phare me donne le drop-angle dans lequel je pointe de temps en temps un cargo de la route. Quand j'en coince un dans le viseur, entre le speed indicator et le red-limit, je le fusille du pouce gauche, histoire que le rat qui se trouve au volant apprécie mieux la différence entre son tas de ferraille qui détruit la bande et le mien qui la caresse. Je connecte ma visée infrarouge avec les couleurs du paysage stockées dans ma mémoire pour me distraire lorsqu'il n'y a pas de spots rouges à l'horizon.

4 h 41. J'atterris sous la zone éclairée qui dans ce désert ressemble à une oasis. Mon agent me tend un gobelet et une paille et me prévient qu'un quatre-roues profilé vient de démarrer avec deux cops à bord. Merci mec, et je laisse déjà la tache de lumière derrière moi. Je les rattrape peu après et les atomise à 68,05 m/s. Malheureusement, pas le temps de m'occuper d'eux ; cette nuit, je suis programmé pour une seule et unique chose : rendre le transporteur en un point précis avant le lever du jour. Il ne m'est pas permis de penser, pourtant, sachez que je suis capable de sentiments. Tenez par exemple, j'ai un faible pour la nuit : elle est la complice de tous mes délits. Je frôle les quatre-roues qui campent sur la voie de gauche ; que ce soit clair : pas de place pour eux lorsqu'ils se trouvent à portée de tir. A un moment, une caravane me fait de l'oeil... Je pique sur elle pour la découper en deux avec ma roue avant, mais hélas mes circuits me rappellent qu'un autre splitman m'attend à Chanas.

5 h 04. Je jette l'enveloppe avec le fric au chignon qui me réclame une carte (je peux lire sur les lèvres les quatres langues principales de la planète). Quelle carte ? La réponse est simple : gaz ! La ville n'est pas loin, je le sens, la température extérieure s'est réchauffée de deux degrés. Dans le tunnel qui m'amène à Lyon, je débranche la sono et taquine la red zone afin de sentir le moteur. L'onde sonore est belle, pas de cliquetis ; ces putains de fûts à combustion fonctionnent pas mal vu leur complexité !

5 h 16. Le Rhône est à gauche, large et brillant. Mon transporteur n'est pas équipé pour glisser sur l'eau ; ça m'énerve, je suis obligé de rester sur la bande avec les autres. Ils sont de plus en plus nombreux à squatter l'espace et je manque de munitions. Aussi il faut faire du slalom, aller caresser les murs de béton à gauche, virer à droite sur la voie qu'ils appellent " urgence ", celle qu'ils réservent à leur " stopmen ". Premières lueurs de l'aube, le nez du transporteur s'affaisse à l'entrée de l'aire où je passe le guidon au splitman Vexator. Ma complice s'évade (la nuit, pas la moto). Je me branche en position veille, j'ai encore dix-sept heures à attendre pour rattraper ma belle.

 

Chanas - Marseille-st-charles : Vexator enfonce le clou

 

T.G.Vanadium indisponible, c'est à son frère jumeau que revient la lourde tâche de clore le débat. Pas facile comme rôle. Les deux autres se sont défoncés et il est-hors de question de saloper leur boulot. Il va y avoir un ravitaillement, deux péages, l'entrée dans Marseille. Et le jour qui se lève avec le réveil possible des radars... Sur le papier, c'est une des moyennes les plus dures à respecter. On pouvait grignoter avant, mais là, ça sera dur.

5 h 10. Nous arrivons à la station. C'est calme, il y a pas mal de circulation, les pompes dorment presque. Je me rase, et fais quelques mouvements de gymnastique. L'ambiance monte sous le casque.

5 h 20. Ça y est, tout est prêt. Les cônes, l'huile, la pompe branchée spécialement pour nous, la visière du casque neuve, de quoi nettoyer la bulle du carénage.

5 h 2 1 . Le P.C. appelle : " Attention ! Il a plus de quinze minutes d'avance au dernier ravitaillement. " Il faut faire vite, car sur la traversée de Lyon, il peut encore gagner du temps. Je m'enfile deux boîtes de Coca et pique un 100 m. Il faut absolument que je sois tout de suite à fond.

5 h 32. Cool. Rester cool. Bien repasser le plan de l'étape en tête. Je commence à comprendre ce que vivent les pilotes d'endurance au stand.

5 h 34. Casque sur la tête. Tiens, une moto ! C'est un phare jaune, ça n'est pas lui. Ho ! Mais ça va vite. " Le voilà ! "

5 h 35. Essence, nettoyage, huile. Merde ! Il y en a plein à côté. Sur le pneu...

5 h 37. Contact. Feu ! Le Terminator me hurle de partir doucement : " Fais gaffe à l'huile ! Roule cool ! Attention la tenue de route se dégrade ! " Il ne manque pas d'humour, il vient de pulvériser le record de mon frère sur Paris-Lyon !

5 h 44. il fait encore nuit. Il y a du monde ! La moto va bien. L'arrière a l'air de tenir, ça ne glisse pas...

5 h 45. Bordel ! Le moteur coupe. Qu'est-ce que c'est ? A 220, plus rien... Quel con ! J'étais en troisième ! Bon, maintenant, fini de rigoler, gaz, assez perdu de temps.

6 heures. 78 km. Valence. C'est bon, ça avance. Au fait, avec ce nouveau temps (je pose deux, je retiens quatre, je multiplie par 6,5 et... je recommence), ça fait vingt-sept minutes d'avance sur l'horaire. Infernal, les deux autres. Si je force la dose, je gagne trois minutes, et on fait les quatre heures. Sans se le dire, on était tous partis avec cette idée insensée en tête... Gaz !

6 h 03. 265 km/h à 10 700 tr/mn. Elle marche, cette 900 !

6 h 06. Qu'est-ce que c'est ? Un barrage ? Non, ouf, c'est pas une histoire de radar avec barrage d'enfer à l'appui, mais simplement un camion en panne et quatre voitures de flics pour voir ce qui se passe.

6 h 17. Ne pas se gourrer : direction Marseille. Pourvu qu'ils aient été prévenus au ravitaillement. J'y serai dans dix minutes, ils m'attendent dans quarante...

6 h 24. Avignon-nord, attention bientôt l'essence. Elle n'est toujours pas à court, en fait la réserve supplémentaire doit fonctionner.

 

 

6 h 27. Station à 1 000 m. 200 m. Super. Des cônes partout. Je freine et manque de tomber. Gaffe, ça glisse. Ma visière se nettoie, ma bulle aussi, le réservoir se remplit. " Merci, les mecs, c'est super. "

6 h 28. Gaz ! Tout en travers. J'ai gagné deux minutes. Si j'en gagne encore une, c'est les quatre heures...

6 h 34. il y a une course de camion ou quoi ? File ininterrompue à droite, et il y en a même qui doublent. On se pousse ! Et pourtant, ils ont largement grillé leurs limitations, mais qu'est-ce qu'ils se traînent.

6 h 39. Péage. J'ai juste les quarante francs, et il n'y a pas de flic. C'est bon, mais attention sur les 13 km qui viennent, il peut y avoir un radar... 6 h 44. Deuxième péage. C'est 3,50 F et je n'ai que trois francs de prêt ! La pièce est ce que j'ai dû sentir glisser le long de ma jambe au départ. Je la sens dans ma botte ! Il fallait bien ça. " Tu me les avances ? - T'es fou ou quoi ? Cong ! - Bon, je passe. - T'es con, on va prendre ton numéro. - !! ... "Je sors un billet de vingt balles et je file sans attendre la monnaie. Je suis à la seconde près, j'ai une minute à gagner. Il boira à ma santé.

6 h 50. Il commence à y avoir du monde. Je " gymkhanase " à fond à l'heure.

6 h 54. La voiture ouvreuse est là. Une allemande dorée avec gyrophare sur le toit. Dans le Midi, ils sont vraiment à la hauteur ! Malheureusement, je vais trop vite pour lui entre les voitures. Je file devant.

6 h 58. Sortie St-Charles. C'est jouable. Ne surtout pas se paner.

6 h 59. La gare. Il m'a dit : " Quand tu vois la gare à ta gauche, tu enquilles le sens interdit, on sera au bout. " Facile, non ? J'enquille... Oups ! Flics ! Ils sont huit ! Demi-tour au frein AR, on fait le tour. Feu rouge, trottoir, passage piétons.

7 h 00 mn 25 s. " Vous êtes l'huissier ? - Oui ! " Ouf... Super. C'est fait. Incroyable. Génial. Vite, un téléphone, il faut les prévenir au P.C., ils doivent se demander ce qu'il se passe ...

 

 

La moto qu'il fallait

 

Si on a pris une Kawasaki 900 Ninja, ce n'est pas un hasard. D'abord, c'est la machine de série la plus rapide à l'heure actuelle, d'autre part, lors de nos différents essais. la Ninja s'était toujours montrée redoutablement véloce sur autoroute. Et le choix s'est avéré payant puisque les capacités de la Kawa nous ont une fois encore épatés.

Cela dit, on ne se lance pas dans une histoire pareille sans quelques vérifications au préalable, doublées d'une petite préparation. Contrôle du serrage de la colonne de direction, de la pression des pneus (2,3 à l'avant ; 2,7 à l'arrière), réglage des suspensions (détente en 2 à l'arrière et pressions préconisées par le constructeur), réglage du sélecteur (ça prend une demi-heure cette bêtise tellement c'est pratique) et de la tension de chaîne bien sûr.

La moto totalisait environ 2 000 km au compteur - elle était donc à peine rodée - et conservait son rapport de démultiplication secondaire d'origine. Seules modifications : des bougies froides, une ampoule de 100 W blanche dans le projecteur et une nourrice additionnelle directement branchée en aval du robinet grâce à un raccord en T. Cette réserve supplémentaire contenait près de 6 l par mesure de sécurité mais en fait il aurait suffit d'un demi-litre ou un litre pour rejoindre nos points de ravitaillement. A ce propos, le consommation en essence s'est stabilisée entre 12.9 et 13,05 l aux cent suivant les relais, ce qui reste très raisonnable.

Et sobre en huile avec ça puisque, vérification faite après 800 km, la Ninja s'est fait d'un quart de ce précieux liquide. A la limite, nous avons rajouté un demi-litre à Chanas pour rien. Un quart de litre vu le rythme, c'est ridicule.

Il faut dire que, à ces heures, la température extérieure assez fraîche jouait en notre faveur. Pour preuve l'indicateur de température d'eau qui est toujours resté à une valeur proche du mini, même à fond.

A part ça, tout d'origine y compris les pneus. Fabuleuse du reste la tenue du pneu arrière ! Vous pourriez penser qu'à cette moyenne et sur cette distance il a pris une claque, et bien même pas. Pour tout vous dire, la moto est revenue à Paris par l'autoroute le même jour en 5 h 1/4 et le pneu n'est toujours pas détruit. A l'arrivée, la rainure centrale fait encore 3 mm de profondeur et je vous assomme si je rajoute que le boudin en question avait déjà 2 000 km de rodage certes, mais 2 000 km tout de même au départ. Vous voilà renseignés : avec une pression adéquate ce sont les accélérations qui usent la gomme, pas la vitesse ou tout au moins pas dans les même proportions.

Enfin, après 1 600 km taquet, la moto tourne comme une horloge. C'est assez éloquent pour être souligné. Et les grandes courbes du Morvan, me direz-vous ? Un rail. Entre 220 et 240 compteur (sur 2 voies) pour être précis. Sur la fin du parcours, la Ninja flottait bien un peu à cause d'un jeu qui s'est amplifié à la colonne de direction. Une promenade de santé en quelque sorte.